Parcours mémoriel d’un dammarien à Dien Bien Phu.
Il y a des moments dans une vie qui marquent par leur intensité et les émotions qu’ils suscitent.
A l’occasion d’un voyage au Vietnam, je viens de vivre un de ces instants en me rendant sur le site de la bataille de la cuvette de Dien Bien Phu, ultime bataille de la guerre d’Indochine qui a sonné le glas, en 1954, de la présence coloniale française en Asie.
Près du pont d’appui Eliane et à quelques centaines de mètres de l’ancien bunker de commandement du Colonel de Castries se trouve l’unique mémorial dédié aux officiers et soldats français tombés lors des combats. Cette stèle a été érigée à l’initiative personnelle, financée et construite par le légionnaire Rolf Rodel, ancien sergent au 3ème Régiment Étranger d’infanterie (REI) et vétéran des combats en Indochine.
Il a quelques années, un de mes amis m’a offert pour mes 50 ans, le livre testament du général Marcel Bigeard qui venait de disparaître quelque mois auparavant. En le parcourant, j’ai découvert l’existence de ce mémorial.
Le samedi 11 octobre, au nom du comité du souvenir français de Dammarie lès Lys / Pays de Bière j’ai déposé sur le site (avec dans ma poche l’insigne du 6 ème BPC), une plaque commémorative pour rendre hommage et montrer que nous n’oublions nos soldats dont plus de 3300 sont morts ou disparus lors des combats et dont 7 voire 8000 ne sont pas revenus de leur captivité. Je voudrais remercier ma guide Vietnamienne Khuat Thai pour m’avoir grandement facilité les choses pour accomplir cette démarche mémorielle ainsi qu’à Didier ancien para et son épouse Patricia qui m’accompagnaient lors des différentes visites de site.
En visionnant quelques clichés de l’évènement, un de mes camarades et ancien para, ma profondément touché par ces quelques mots qui résume tout « Encore plus haut qu'Eliane, Bruno te regarde ! » …
Un seul regret, j’aurais tellement aimé, avoir à mes côtés mon frère ainé Jacques, trop précocement disparu.
Descriptif des visites effectuées :
Jour 1
Visite du quartier général du bunker du commandant français, le colonel Christian de Castries et des vestiges aux alentours. Visite du pont Muong Thanh – un vieux pont portatif Bailey préservé et fermé à la circulation motorisée Ce célèbre pont est resté intact depuis la fin de la bataille. Il traverse la rivière de Nâm Rôn et vous conduit au marché central de Dien Bien Phu. Il fut traversé par les troupes Vietminh lors de l’assaut final. Visite du lieu où le commandant en chef de l'artillerie Pirot s'est suicidé.
Jour 2
Dépôt de la plaque au mémorial puis transfert à la colline A1 où de violents combats ont eu lieu (points d’appui Eliane 2) Les visiteurs peuvent voir sur ce site le réseau de barbelés, les champs de mines, des chars rouillés. Visite du musée de Dien Bien Phu, conçu sous la forme d'un ancien chapeau en maille de soldat de Dien Bien recouvert de feuilles de camouflage. Visite du quartier général du général Giap situé dans la forêt primitive de la commune de Muong Phang, niché dans une forêt, à 25 km du champ de bataille. On y voit des postes de garde, des huttes d'observation, la baraque de travail du général, le tunnel de 96m reliant celle-ci à celle du chef d’état-major Hoàng Van Thai...En route, nous avons découvert les magnifiques paysages naturels et les quelques villages dispersés de la minorité ethnique Thai et Kho Mu.
Jour 3
Visite de la colline Him Lam (Béatrice), lieu de la première bataille et de la première victoire de l'armée vietnamienne, le 13 mars 1954, ouvrant la campagne de Diên Biên Phu.
Thierry Durand
Rappel historique
Il y a un peu plus de 71 ans, le 7 mai 1954, tombait la cuvette de Dien Biên Phu. Après près de deux mois de combats acharnés contre les assauts des troupes Viêt-Minh du général GIAP et malgré la défense héroïque du corps expéditionnaire français, le camp retranché capitule. Cette position de 16km sur 9, entourée par des points d’appui qui portent des prénoms féminins Anne -Marie, Béatrice, Claudine, Dominique, Éliane, Françoise, Gabrielle, Huguette, Isabelle a été établit en 1953 dans la vallée de Diên Biên Phu, près de la frontière laotienne et chinoise pour arrêter l’avancée des troupes du Viêt-Minh vers le Laos.
Au total plus de 15.000 militaires français ont participé à la défense du camp : plus de 3.300 sont morts ou portés disparus, sur les 10.000 soldats faits prisonniers seuls un peu plus de 3000 reviendront en France. Du côté Viêt-Minh les pertes sont également très lourdes près de 8.000 morts et 15.000 blessés. Après cette ultime bataille de la guerre d’Indochine le sort de la présence coloniale française en Asie est scellé par les accords de Genève du 21 juillet 1954 qui mettent fin à la guerre d’Indochine.
Historique du mémorial
A 200m du bunker du Colonel de Castries à Dien Bien Phu se trouve le premier et le seul mémorial dédié aux officiers et soldats français tombés aux combats.
Cette stèle a été érigée à l’initiative personnelle et construite par Rolf Rodel d’origine allemande, vétéran de l’armée française, membre de l’ANAPI (Association nationale des anciens prisonniers internés déportés d’Indochine), ex-sergent, chef du commando de la 10ème compagnie, 3ème bataillon du 3ème Régiment Étranger d’infanterie (REI).
Le légionnaire allemand Rolf Rodel
Après avoir été enrôlé dans l’armée allemande, Rolf Rodel a combattu sur le front de l’Est pendant la Seconde Guerre mondiale et fait prisonnier dans les derniers jours par les Américains.
Il s’engage dans les rangs de la Légion Étrangère le 19 avril 1950 et se porte aussitôt volontaire pour l’Indochine où il fait 2 séjours. Il est blessé 4 fois au cours de la bataille sur le point d’appui Isabelle et a connu la détention des camps Viet Minh. Libéré, il a repris son service à la Légion qu’il a quittée le 25 avril 1957. Il a donc servi la France durant 7 années.
Il n’a jamais oublié ses camarades qui sont morts là-bas
En mars 1992 le vétéran est retourné en Indochine pour revoir les lieux où il a combattu. Il a découvert alors à Dien Bien Phu une petite stèle, une simple dalle érigée en 1984 par les autorités vietnamiennes pour respecter l’accord de Genève – tombe déjà en ruine. Il l’a restaurée et est revenu en France. Ne pouvant rien attendre des gouvernements français, il prit la décision de se charger lui-même de la mission « d’hommage à ses frères d’armes ».
Il l’a construit de ses mains
Rolf Rodel dessine les plans du mémorial et envoie le matériel au Vietnam. Après avoir surmonté les tracasseries administratives, il a acheté un terrain sur le site de la bataille, et a veillé à la construction, il a financé le monument de ses propres deniers et participé à la construction. Au Vietnam, Rolf Rodel a rencontré nombre de ses anciens adversaires Viet Minh occupant des postes de haut rang, ils l’ont aidé. Après 6 semaines, les travaux sont terminés.
Ce monument a été érigé sur le site de Eliane 2, devenu terrain de cultures, où près de 2000 soldats ont été tués. Il se présente sous la forme d’un obélisque blanc entouré d’un muret.
Et c’est encore tout seul au milieu des autorités et de la foule vietnamienne, qu’il inaugure (non officiellement) le monument, en mai 1994, à l’occasion du 40 ème anniversaire de la bataille, pas un seul représentant français n’est présent en dehors du légionnaire allemand Rolf Rodel.
Une émouvante rencontre entre général Marcel Bigeard et ce légionnaire sur le site de Dien Bien Phu
Rencontre avec Marcel Bigeard
Le 29 juin 1994¸ quarante ans après la bataille, Bigeard arrive sur les lieux. Bouleversé, il découvre la stèle élevée sur le lieu des combats. “Pour rappeler la mémoire de nos morts et tous ces sacrifices inutiles, écrit-il dans “Ma vie pour la France”. Il l’a embrassé et l’a remercié. Rolf Rodel a appuié sur le bouton d’une cassette. “La marche de la Légion étrangère” s’élève dans la cuvette de Dien Bien Phu, au milieu d’un champ de maïs, puis “La Marseillaise” …